Avec l’arrivée du Plan pluriannuel de travaux, l’administrateur de biens sera davantage dans son rôle : de gestionnaire du quotidien de la copropriété, il deviendra gestionnaire du destin de la copropriété.
Cette transition majeure exige certaines prises de conscience, au niveau déjà de cette profession, mais aussi des banques, des pouvoirs publics, ainsi qu’une meilleure appréhension de la mission du diagnostiqueur immobilier. Ce dernier métier entrera ainsi, avec la nouvelle législation, dans sa troisième vie et sera reconnu comme agent au service de la valorisation de l’immeuble.
Explications avec Henry Buzy-Cazaux, expert reconnu du monde de l'immobilier.
La réglementation pour les copropriétés est en cours d’évolution avec l’arrivée du DPE et du plan pluriannuel de travaux. Quels changements vont apporter ces obligations ?
Henry Buzy-Cazaux : Jusqu’à présent, la copropriété était gérée au quotidien, à travers notamment une réactivité concernant l’entretien technique, sans aucune projection sur son avenir à moyen ou long terme de la part des copropriétaires.
Elle sera désormais considérée sous l’angle de sa pérennisation, de son optimisation et de sa valorisation avec le plan pluriannuel de travaux, mis en place à partir du 1er janvier prochain pour les copropriétés de plus de 200 lots, et pour toutes les copropriétés dans les années suivantes.
L’échéancier des travaux imposé par cette nouvelle législation, issue de la loi Climat et Résilience du 22 août 2021, permettra d’établir un budget prévisionnel selon un plan de charge réparti sur dix ans, et donc l’ensemble des travaux nécessaires, en particulier pour atteindre la performance énergétique souhaitée.
L’administrateur de biens sera davantage dans son rôle : de gestionnaire du quotidien de la copropriété, il deviendra gestionnaire du destin de la copropriété.
De même, le diagnostiqueur immobilier évoluera vers un rôle-clé, revalorisé, son constat de l’état du bâti complété de propositions de travaux permettant l’amélioration de l’immeuble.
Il s’agira de sa troisième vie : après avoir été considéré comme un « empêcheur de gérer en rond » par ses confrères de l’immobilier, puis une deuxième période où il a, d’évidence, contribué à la transparence et à la sécurité sur le lieu de vie d’un propriétaire ou d’un locataire, il sera reconnu comme un agent au service de la valorisation de l’immeuble.
Au sein des copropriétés, il existe déjà cette nécessité de travaux d’entretien réguliers pour éviter d’être seulement dans le curatif, qui a longtemps été ignorée. Qui aura cependant la charge de cet effort financier ?
Henry Buzy-Cazaux : Les copropriétaires devront accepter et assumer les travaux planifiés.
Le rapport d’Olivier Sichel, directeur général délégué de la Caisse des dépôts, « Pour une réhabilitation énergétique massive, simple et inclusive des logements privés », remis l’an dernier, estime le coût des conséquences de la loi Climat et Résilience à 25 000 € par lot. Un montant que les syndics de copropriétés évaluent entre 20 000 € et 40 000 € par lot.
Cet effort très important de trésorerie des ménages doit être aidé par les banques, qui doivent développer une offre spécifique. Il faut seulement assigner à l’aide publique d’atténuer le reste à charge au prorata des revenus des particuliers, notamment pour les plus fragiles et les plus bas revenus.
Aujourd’hui, ces ménages doivent épargner 5% du budget prévisionnel d’une copropriété à travers le fonds de travaux, dont l’utilisation est votée à chaque assemblée générale à la majorité absolue des copropriétaires.
Demain, ils devront épargner 2,5% du montant des travaux du plan pluriannuel.
Pour une copropriété moyenne de 25 lots, par exemple, la base de calcul passera ainsi d’une fourchette de 60 000 € à 100 000 €, à une fourchette de 500 000 € à 2,5 millions d’euros avec ce nouveau mode de calcul de l’épargne obligatoire. Ce sera le prix à payer pour valoriser son immeuble.
Ce sera d’autant plus effectif que les copropriétaires bailleurs, qui représentent dans nos villes 40 à 60% des copropriétaires, ne pourront plus, progressivement, louer les logements mal notés par le Diagnostic de Performance Énergétique (DPE).
Comment en est-on arrivé là ?
Henry Buzy-Cazaux : Tout le monde a pensé que l’immobilier était éternel, personne n’a eu en tête l’obsolescence programmée des immeubles.
L’immobilier se dégrade, doit être mis à des normes qui apparaissent encore punitives, et ne se remet en marche pas uniquement pour des raisons gouvernementales. Le plan pluriannuel de travaux permet de lutter contre cette irrémédiable usure du temps.
Les syndics de copropriété confirment que les bénéfices de la loi sur la transition environnementale ne bénéficieront pas qu’à la performance énergétique du bâtiment, mais bien à l’état général de l’immeuble.
De la même façon, les assurances affirment que les dégâts des eaux, qui représentent 60 à 70% des sinistres, proviennent d’un mauvais entretien de l’immeuble. Ce qui, avec le plan pluriannuel, permettra de réajuster les primes payées chaque année à la baisse.
Comment, sans modifier les objectifs, maintenir le cap et atteindre le but voulu dans la lutte contre le réchauffement climatique, dont les effets ont été plus que jamais visibles cet été ?
Henry Buzy-Cazaux : Il est impossible de transférer les problèmes générés par le réchauffement climatique à la génération suivante. Cette position ne me paraît plus possible. Je crains même qu’elle ne fasse courir le risque d’être politiquement inaudible aux organisations professionnelles qui la tiennent.
L’urgence, c’est aujourd’hui. Il ne faut pas modifier l’échéancier prévu.
Deux moyens sont à notre portée.
D’une part, la pédagogie sur le sujet est malheureusement facilitée par les circonstances tragiques, comme les conséquences du conflit en Ukraine sur le coût de consommation de l’énergie, et par l’économie, avec une inflation galopante générant des impayés de crédit immobilier, ou encore des retards de paiement de loyers et charges.
D’autre part, une ingénierie financière doit être mise en place, au prorata des revenus, au bénéfice des plus faibles revenus.
L’État doit aider les plus fragiles, frappés par la double peine : des copropriétés mal entretenues avec des biens notés F ou G par le DPE et peu d’argent pour régler leurs factures.
Je plaide pour que l’univers des banques propose enfin une offre dédiée pour financer les travaux de performance énergétique, au lieu de stigmatiser les passoires énergétiques en refusant les crédits immobiliers à leurs potentiels acquéreurs.
Ces objectifs, sont-ils d’ailleurs réalistes ou à redéfinir, et avec quel niveau d’intervention des pouvoirs publics ?
Henry Buzy-Cazaux : Les pouvoirs publics n’ont pas un rôle facile, mais leurs discours ne doivent pas être punitifs, surtout vis-à-vis d’une opinion française attachée à la liberté, car ils s’avèrent alors contreproductifs. Pourquoi n’entend-on pas de discours enthousiaste sur la transition environnementale ?
Il ne faut pas dépenser plus d’argent public, qui reste le fruit de nos impôts, sauf pour les plus fragiles, ce qui est la mission de la collectivité.
Cela demeure aujourd’hui complexe d’accéder aux aides, de trouver des entreprises compétentes labelisées Reconnues Garantes de l’Environnement (RGE), ou encore d’obtenir des DPE fiables. Face à ces doutes, la réassurance est nécessaire.
Par exemple, en réparant les bugs du DPE par des expérimentations durant 2 à 3 mois sur un territoire défini. Je note que l’actuel gouvernement fait preuve à cet égard de plus de prudence et de réalisme que le précédent : l’audit énergétique, manquant encore de fiabilité, ne sera finalement pas entré en vigueur au 1er septembre 2022, mais seulement en 2023.
Il faut aussi que l’administration se montre moins tatillonne pour valider un devis de travaux dans le but d’améliorer la performance énergétique.
Le risque, à terme, est que les ménages se rétractent de l’effort financier à fournir.
Face à ce grand défi, quel rôle doivent jouer les administrateurs de biens ?
Henry Buzy-Cazaux : Les administrateurs de biens doivent considérer ce grand défi comme une double opportunité : pouvoir valoriser leur patrimoine et devenir des professionnels-clés, en changeant leur image et en démontrant leur valeur ajoutée.
Ils doivent inverser leur discours, le rendre enthousiasmant sur la transition énergétique, par exemple au plan patrimonial en apportant des solutions, ce qui rendra leur rôle cardinal en raison des complexités à résoudre.
Les plus importants administrateurs de biens ont commencé cette révolution, en intégrant un service central référent pour les cabinets de leur réseau. Ceux de taille moyenne ont déjà externalisé ce mode de réponses en termes d’ingénierie technique, à travers un partenariat avec un opérateur spécialisé, pour détenir des moyens comparables aux plus gros.
Face à l’obstacle, la profession immobilière doit savoir faire preuve d’une certaine agilité, elle ne peut se montrer désemparée.
Quel rôle ont également à jouer les diagnostiqueurs immobiliers ?
Henry Buzy-Cazaux : Dans sa troisième vie, le diagnostiqueur immobilier est devenu la pierre angulaire de la décision pour valoriser le patrimoine. Sa responsabilité peut être invoquée, à l’image du DPE, maintenant opposable.
Il ne peut s’offrir le luxe de l’approximation. Sans travail fiable de sa part, tout le process est erroné.
Aucune profession n’est honorable sans la contrepartie de la responsabilité.
En un quart de siècle, le métier de diagnostiqueur immobilier est passé d’un stade d’obligation perçue par la filière immobilière comme par les particuliers, à un rôle de professionnel indispensable dans tous les actes de location ou d’acquisition, investi de la confiance. Il est au rendez-vous de l’Histoire.
Enfin, quel rôle peuvent jouer les aides publiques dans cette rénovation nationale du bâtiment ?
Henry Buzy-Cazaux : L’État crée des obligations pour notre bien-être collectif. Il a déjà bien pensé certaines aides publiques, comme le certificat d’économie d’énergie, qui a souffert de sa faible notoriété, le prêt Avance Rénovation, dont le montant est garanti sur la future valeur du bien et peu utilisé à ce jour, ou encore l’éco-prêt à taux zéro.
La boîte à outils doit simplement être rendue plus visible.
Toute amélioration de la performance énergétique ne sera pas obtenue que par la technique. Devons-nous réapprendre à consommer l’énergie, à changer nos comportements ?
Henry Buzy-Cazaux : Depuis quelques années, les économies d’énergie ne sont considérées que sous l’angle du bâtiment, alors qu’elles touchent aussi d’autres domaines comme l’usage de véhicule. On parle de l’incurie dans le logement, alors qu’en 1973, le slogan sur le gaspillage, plus généraliste, « en France, on n’a pas de pétrole, mais on a des idées » avait fait florès.
D’une part, il faudrait presque une formation à l’achat d’un bien immobilier, pour se réapproprier les bons comportements, comme le réflexe d’aérer l’intérieur au moins une demi-heure par jour ou encore faire tourner son lave-vaisselle la nuit.
D’autre part, plus on améliore le bâtiment, plus son usage par ses occupants est dégradé. De la même manière, plus on a sécurisé la voiture, plus le conducteur allait vite. La performance technique doit amener à une baisse de consommation, et non l’inverse !
Il faut aussi comprendre que les privations peuvent avoir des effets bénéfiques. Baisser la température de 2 degrés, ce n’est pas devoir mettre un pull dans son logement : c’est d’abord mieux vivre en étant moins fatigué, en passant de meilleures nuits. L’Individualisation des Frais de Chauffage a provoqué une baisse de la consommation de 10 à 20% dans les pays du Nord de l’Europe, grâce à la responsabilisation des utilisateurs, c’est-à-dire leur conscience de l’inutile.
Il existe toujours deux façons de formuler la même action : sous forme d’une restriction et en considérant son côté positif.
En conclusion, peut-on affirmer que les diagnostiqueurs immobiliers, vus comme une contrainte depuis 25 ans, représentent une chance dans ce combat majeur ?
Henry Buzy-Cazaux : À nouveau, le diagnostiqueur immobilier fait prendre conscience de l’obsolescence programmée d’un bâtiment. Il réalise une biopsie : il donne conscience que l’immeuble est un être vivant, qu’il peut se régénérer.
Rien ne sera donc fait en matière de valorisation, d’amélioration de l’environnement sans lui.
Ce rôle dans la transition énergétique fait apparaître une noblesse dans son statut que l’on n’avait pas perçue jusque-là.
Il faudrait d’ailleurs mieux rétribuer le diagnostiqueur immobilier, au regard des enjeux qu’il manie et des moyens économiques investis pour exercer ce métier, à la fois technique et pour la formation. S’assurer d’un corps professionnel parfaitement fiable, crédible et compétent doit évidemment être la priorité des organisations professionnelles et de l’État.