En 42 jours, 8 heures et 30 minutes, Philippe Moreau, Xtrem Runner, chef d’entreprise, auteur et conférencier, a traversé un Continent, l’Australie, soient 3 793 kilomètres en courant. S’il n’a pas battu le record du monde (à trois jours près), il nous transmet les enseignements majeurs d’une aventure unique, dans tous les sens du terme.
Comment avez-vous vécu et que vous a appris cette traversée de l’Australie en courant ?
S’attaquer à la traversée d’un continent, c’est entrer dans une certaine démesure, devoir connaître un plaisir intense doublé de grandes douleurs pour pouvoir réussir son défi. En 42 jours, j’ai vécu un concentré d’émotions, du doute à l’enthousiasme, qui m’a vite conduit à me retrouver face à moi-même. Ce qui n’arrive finalement pas si souvent que cela, dans notre quotidien en raison de multiples pollutions qui nous prive de ce face à face salvateur.
Il m’a fallu des circonstances exceptionnelles comme cette traversée de l’Australie pour découvrir qui je suis, qui je deviens en évoluant, avec des facultés qui se bonifient ou se détériorent. C’est pourtant un travail que chacun de nous doit savoir faire régulièrement. La vie n’est pas faite pour connaitre nos limites, mais pour les découvrir sans cesse. C’est l’enseignement majeur de mon périple de 3800 kilomètres.
La qualité de nos vies se construit sur des détails. Un clin d’œil, une tape sur l’épaule, un merci, la bienveillance quotidienne des autres qui nous échappe et qui sert pourtant de moteur pour avancer… On finit par ne plus remarquer ces détails, on ne prend pas suffisamment le temps de les analyser.
Dans le bush australien, chaque matin, après trois kilomètres de course, Jean-Michel, l’un de mes coéquipiers, me faisait un clin d’œil. Il me communiquait ainsi un message fondamental : « je veille et je prends soin de toi ».
Ce n’est qu’ensemble que l’on peut réaliser de grandes choses. Il faut donc trouver les bonnes personnes, accepter de construire ensemble et se faire mutuellement confiance… ce qui ne peut exister que si l’on remarque les détails qui font la qualité de nos vies.
Comment vous êtes-vous adapté quand vous avez su que vous ne battriez pas le record de traversée de l'Australie ? Quel a été le processus de ce changement ?
J’avais des points de repère avant cette traversée, en ayant notamment changé ma posture, ma façon de courir et de dormir, en m’entourant de compétences nouvelles. Mais j’étais aussi certain de connaître des aléas… Je suis pourtant tombé au bord de l’autoroute dès le deuxième jour, en me faisant un hématome à la cuisse. C’est bête de s’abîmer alors qu’il reste encore 36 jours de course… Je me suis, par la suite, retrouvé deux fois dans un état d’épuisement complètement extrême, et suis tombé 8 fois de fatigue, parce que mes jambes ne pouvaient plus me tenir debout… A ce moment-là, c’est super dur d’accepter que l’on est faible, que l’on n’est pas un extraterrestre, que le corps te rappelle que tu es un mec normal… Je suis un guerrier, mais pas indestructible. Il m’a fallu reconnaître et analyser ses faiblesses, accepter d’être lent et de marcher, parce que je ne pouvais rien faire d’autre…
Je me suis donc appliqué les 3 R du raisonnement, pour savoir si ma poursuite du record du monde était Réalisable, Raisonné et Raisonnable. Au 25e jour de course, j’ai compris que ce n’était pas Raisonnable. Malgré la perte de lucidité due à la fatigue, je me suis concentré sur la bonne priorité. Ce qui m’a appris une deuxième chose essentielle : le laisser-faire, une expression que je préfère au « lâcher prise ».
J’ai craqué psychologiquement, au passage des 3000 kilomètres (32e jour) et cela m’a fait énormément de bien. Manageur, chef d’entreprise… on se met tous une pression énorme. Je préconisais aux autres de trouver leurs exutoires. Par la force des choses, je me le suis appliqué, et en craquant, par le laisser-faire, j’ai retrouvé de l’énergie. C’est le jugement des autres qui nous prive de ce supplément d’énergie qui peut suffire à réaliser de grandes choses.
Je m’auto-mutilais en pensant : « Tout le monde te prend pour un Xtrem runner, et t’es lent ». Mon équipe a été génialissime en me convainquant que tout le monde s’en foutait de la vitesse à laquelle j’avançais, et en me rappelant que j’étais juste en train de traverser un continent en courant, 14 à 15 heures par jour. Seul votre cercle proche peut vous empêcher de vous juger vous-même, et donc de ne pas vous priver d’une énergie essentielle, récupérée pour marcher, puis courir de nouveau, bref pour avancer.
Quel rôle a joué votre équipe dans cette performance ?
On ne peut aboutir un projet aussi démesuré sans une belle équipe, l’une en amont et l’autre en aval du projet. Durant un an et demi, j’ai travaillé avec trois coachs : Philippe Leclair pour le mental et la posture, Philippe Lecuyer pour la mécanique du corps et Rémi Hurdiel, spécialiste du sommeil. Mon exaltation et mon enthousiasme les ont amenés à s’approprier mon projet et à m’aider à me reformater pour réussir cette performance. Comme disait Steve Jobs, on n’embauche pas des gens pour leur dire quoi faire, mais pour qu’à travers leurs compétences, ils sachent nous dire quoi faire. En plus d’apporter des compétences, il faut aujourd’hui que tout collaborateur soit emballé par le job.
Mon équipe en aval du projet, je l’ai choisie avec précision, en créant un cercle de proches comme j’en ai dans le monde familial ou professionnel, car je leur confiais ma personne à tous les niveaux : tête et corps.
Laure s’est chargée de la coordination logistique la semaine avant notre départ. Jean-Michel, mon associé de vie depuis 33 ans, l’homme du clin d’œil au 3e kilomètre et qui m’a permis de m’effondrer dans ses bras, a coordonné l’équipe. Serge Girard, ancien détenteur du record du monde en 1999 et référence mondiale de l’ultra-running, a su m’apporter les mots que j’attendais sans jamais rien m’imposer. Thomas, son fils, a écrit au jour le jour notre aventure sur un blog. Enfin, David Antoine s’est occupé de la captation des émotions en photos et en vidéos.
Trouver l’équipe gagnante au service d’un projet, capable de dire « merci de nous choisir » et « Waouh ! » à la présentation de l’aventure, c’est la problématique de tout chef d’entreprise.
Quel sera votre prochain défi ? Sera-t-il plus empreint de plaisir que de souffrance ?
Je veux déjà tirer une conférence et un film de cette traversée australienne, pour faire comprendre pourquoi je n’ai pas réalisé le record du monde et que j’intitulerai les « Saveurs de l’échec », avec le mot « échec » au sens anglo-saxon du terme : une expérience qui nous fait progresser.
En Australie, j’ai souffert 80% du temps pour 20% de plaisir. Mon prochain défi doit inverser ce ratio. J’ai une vie multiple : famille – avec 3 enfants -, écriture d’ouvrages, conférencier, chef d’entreprise… Mon équilibre, c’est de profiter de chacune de ces vies avec intensité.
Pour arriver à 100% à Sidney, j’aurai dû déséquilibrer ma vie et me concentrer à 100% sur ce projet. Or, je suis donc arrivé en Australie chargé à 70%, la blessure m’a fait perdre encore 10%... Je ne cherche pas à vivre des moments plus hauts, plus forts, mais plus beaux.
Mon prochain défi devrait être lié à la fondation fondée par Frédérique Bedos et son « Projet Imagine » pour mettre en avant les héros anonymes de la planète. Chacun a le privilège de pouvoir s’occuper de sa vie et de faire évoluer la société. Je pense tracer un cœur sur la carte de France à travers une course par étapes, où je m’arrêtais pour donner des conférences et parler de la fondation de Frédérique Bedos. Objectif : 80% d’émotions partagées pour 20% de courses !
Nous sommes tous co-responsables de la réussite du monde de demain. Chacun peut s’occuper de ses cercles proches et s’attacher à mettre en avant des valeurs telles que l’altruisme et la bienveillance. Si chacun le fait, cela créera une société positive.
Diagamter était partenaire de votre défi. Quelles valeurs partagez-vous avec l'enseigne ?
Parmi les 6 valeurs de l’enseigne, qui sont toutes nobles, deux d’entre elles me touchent plus particulièrement : l’appartenance et le respect.
L’appartenance à un groupe est une valeur hyper fédératrice : elle offre de partager une ligne de conduite globale avec la possibilité de faire des digressions, de savoir où l’on va, avec qui et pourquoi. Dans un groupe, si on ne fait pas les choses pour soi, on les fait pour les autres.
Lors de la traversée de l’Australie, à Fremantle, je n’avais pas le droit d’abandonner : j’allais arrêter de me battre parce que j’avais mal ? Je ne pouvais pas décevoir ceux qui m’ont accompagné dans cette aventure, que ce soit le petit Thaïs pour lequel j’ai recueilli des fonds, ou Diagamter, un partenaire qui s’est aussi approprié mon projet et qui l’a partagé, comme à travers cet interview.
Le respect est également fondamental : on ne peut pas respecter un groupe ou quelqu’un si on ne se connaît pas soi-même. Il faut faire preuve d’un égoïsme constructif : si l’on ne prend pas en compte que l’on est important et que l’on doit se respecter soi-même, aussi bien au niveau du corps qu’au niveau intellectuel, on ne peut pas se connaître et donc respecter les autres.
A lire, l'interview de Philippe Moreau avant son départ pour l'Australie: